Au cœur d'Arana, non loin du campement où passait une eau douce, Mikheil était couché sur l'herbe froide où grouillaient une multitude d'insectes. Ceux-ci chatouillaient ses bras nus, l'empêchant de somnoler à sa guise. La soirée prévoyait une nuit froide, peut-être valait-il mieux de la passer sous sa forme de scorpion ? Mais Mikheil repoussa cette éventualité, son énergie lui baisserait considérablement. Il avait un peu trop abusé de transformation aujourd'hui. Vaquant ainsi à ses pensées les plus anodines, l'homme s'endormit finalement sous le chant des criquets... Ce fut un court sommeil sans rêve, durant laquelle le thériantrophe fut réveillé par un bruit qui s'était voulu discret. A peine eut-il ouvert les paupières que le silence retomba. Sauf que quelque chose avait changer dans ce simple décors sauvage. Une lettre gisait au sol, tout près de jambes. Il n'avait pas eu tout de suite le réflexe de s'en emparer ; la première chose qu'il fit, était de vérifier que rien n'avait disparu. Ses armes, ses affaires, ses vêtements, ses restes de nourriture. Tout était intacte.

Se relevant prudemment, il observa les alentours par des coups d’œil furtifs et rapides. Ne sentant rien de négatif, il s'arma malgré tout de son petit couteau aux multiples usages. Mikheil prit ensuite la missive qui semblait être tombée du ciel. Rare était les fois des lettres anonymes lui parvenaient ainsi... C'était bien la première fois, à vrai dire. Après une lecture rapide, ainsi qu'une deuxième dans un état d'esprit plus concentré, il se rassit. Un inconnu lui donnait un rendez-vous, et selon le vocabulaire utilisé, il s'agirait de quelqu'un avec un brin d'éducation et de valeurs. Mais tout de même, tomber dans un piège aussi bête lui paraissait sordide. Mikheil réfléchissait. Le monastère n'était pas loin du tout, et la curiosité qu'il ressentait au même moment s'attisa naturellement.

Ce fut sur ces dernières pensées qu'il ramassa toutes affaires et marcha rapidement vers le campement abandonné. Comme prévu, le scorpion suivit l'unique lueur qui scintillait, et très vite il se retrouva face à une hutte où une silhouette se dessinait faiblement. Impossible à savoir qui. Mikheil pensa que tout avait été prévu pour que l'identité ne soit révélée qu'une fois à l'intérieur. Il entra donc, le cœur battant légèrement par le simple fait de prendre ce risque, et sa première réaction fut d'écarquiller les yeux. « Mademoiselle Luna », souffla-t-il.

Maintenant que l'identité était révélée, son instinct de protecteur refit vite surface. Mais que faisait la jeune fille de Dame Kalyäh, seule, loin de chez elle ? Elle devait avoir une bonne explication. Il devina très vite que personne n'était au courant, et qu'il était maintenant responsable. « Loin de là l'envie de manquer de respect, mais cette escapade nocturne, sans avertir personne, n'était guère une bonne idée. » Mikheil soupira cependant de soulagement, et s'assit aux côtés de la jeune fillette. Celle-ci l'avait toujours épaté, car pour son jeune âge elle parlait et agissait de telle manière qu'il en restait bouche bée. Cela prouvait que Kalyäh était une mère exceptionnelle, en plus d'endosser le rôle de chef... Bien sûr, tout cela, il le savait déjà. Le thériantrophe regarda la jeune fille dans les yeux, lui affichant un sourire sincère. Il avait quelques friandises, comme de la viande séchée et croustillante, c'était délicieux ! Il en proposa à Luna en lui tendant le petit sachet en question, avant de la questionner au sujet du rendez-vous secret. « Qu'aviez-vous de si important à me dire pour devoir vous cacher de la sorte ? » demanda-t-il d'un air franchement curieux. Le scorpion se mit plus à l'aise, posant sa sacoche à côté de lui.

Un petit air amusé se dessina sur le visage de l’enfant alors que le grand guerrier comprit, non sans surprise, à qui il avait affaire. Sans dire un mot, elle le regarda s’asseoir puis l’écouta, s’attendant à recevoir la morale sur ses agissements qui n’étaient pas des plus sages. Elle finit par tourner le regard vers la chandelle pendant un instant, cherchant ses mots pour répondre convenablement à la question qu’il venait de lui poser. Tout en prenante un bout de viande séché en le remerciant elle posa son regard bleuté dans celui du scorpion et parla doucement, comme le vent.

-Je vous ai contacté vous car, comme vous le savez, Maître Daëron manque à l’appel. Il y a une lune, il devait venir me rejoindre au monastère pour la suite de mon entrainement mais il n’est jamais apparut. J’ai d’abord cru que mère lui avait confié une mission qui lui avait empêché de venir, mais il n’en est rien. Ses affaires sont encore à son campement et il ne m’aurait pas fait parcourir toute la jungle pour rien, s’il avait été présent j’aurais eu droit à plusieurs défis comme il le fait souvent.

Elle se tut un instant, rassemblant ses idées pour mieux exposer la situation.

-Je voudrais savoir si vous voudriez m’accompagner lors d’un voyage pour le retrouver. Vous et vos deux compagnons le connaissez mieux que quiconque et, pour être honnête avec vous, mon instinct me dit qu’il est en danger. Si vous ne voulez pas venir, pouvez vous couvrir mon absence le temps qu’il faudra?

Elle sortit un petit parchemin où l’on pouvait retrouver un calendrier des prochaines semaines. D’un geste lent et précis elle pointa un date qui concordait à la prochaine triple pleine lune.

-Si l’on part à cette date les premières rivières seront plus simples à traverser. C’est cet effet causé par les trois pleines lunes qui avait aidé nos ancêtres à atteindre Arana avant que les humains ne leur bloquent la route. De cette façon nous gagneront non seulement du temps mais aussi il nous sera plus simple d’accéder à la demeure de Daëron pour y trouver des indices nous indiquant la dernière direction qu’il a pris.

L’enfant ne semblait pas rigoler pour le moins du monde, sortant quelques cartes et précisant les chemins possibles à utiliser pour allez vers le nord. Bien sûr elle était persuadée que son maître s’était diriger vers les territoires nocturnes, sachant que sa dernière expédition d’espionnage l’avait profondément troublé. Cependant, elle ne dit rien à propos de cette race secrète, étant obliger de garder le silence.

-Cartale est une région des plus hostile, j’y suis allez avec ma mère et j’ai peur que Daëron y soit passé pour rejoindre les territoires humains. Le réel problème, c’est que bien que nos allié sous les souterrains de cette terre ne nous veulent pas de mal, ils ont beaucoup de mal à accepter que des étranger parcoure leur territoire. J’espère seulement que tout c’est bien passé pour senseï.

Sous cette hutte, en début de nuit, accompagné d'une lanterne qui éclairait faiblement les visages des deux thériantrophes, l'ambiance semblait s'être apaisée. Luna gardait un calme surprenant, tandis que Mikheil essayait de faire pareil. Si Kalyäh était dans tous ces états en ce moment même, il se sentirait légèrement coupable. Son devoir l'obligerait à ramener Luna chez elle, mais nul ne pouvait le faire de force. Il ne pouvait pas non plus partir, et la laisser ici. Le scorpion préféra écouter ce que la petite Taliësin avait à dire. Tandis qu'elle lui expliqua les raisons pour laquelle elle l'avait contacté lui, et pas un autre, le guerrier pesait le pour et le contre en se noyant dans le regard bleuté de la fillette. Mikheil ne voyait pas encore vraiment où elle voulait en venir, et si il se faisait de plus en plus une petite idée, il espéra réellement se tromper...

Effectivement, Daëron n'avait plus donné signe de vie, et cela n'était pas à son habitude. Il était quelqu'un de responsable et n'omettrait pas une chose pareille. « Jeune fille, je ne pense pas que ce travail soit de votre ressort. En ce moment, je n'ai pas grand chose à faire, je peux m'en occuper. » Mikheil douta qu'elle accepte, mais Luna étant trop jeune et vulnérable, sa place était auprès des siens, en territoire connu. Kalyäh lui en voudrait terriblement s'il la laissait agir ainsi, et prendre autant de risque... Sans attendre de réponse tout de suite, la fillette continua son récit qu'elle semblait connaître par cœur. Lui montrant des cartes, des routes, parlant de stratégies et s'appuyant sur un calendrier pour l'organisation. Le scorpion vit dans le regard de Luna qu'elle était on ne peut plus sérieuse, et l'idée que rien ne puisse l'arrêter l'effrayait. Elle n'était pas comme les autres, cela était sûr.

« Nous pouvons également envoyer en éclaireur un thériantrophe qui irait par la voie des airs, cela serait plus simple. » lâcha-t-il en essayant de la convaincre de sortir cette idée de sa tête. « Mais si vous comptez y aller coûte que coûte, je n'ai pas d'autres choix que de vous dire oui. Je ne vous laisserai jamais y aller seule. » Sa voix était déterminée. Il sembla à Mikheil que la petite fille ne lui disait pas tout, mais le scorpion décida de respecter son silence qui était sûrement réfléchi. De toute manière, il saura tôt ou tard tout ce qu'il y avait à savoir... Mais sa confiance en la jeune fille de son chef, qu'il ne connaissait pas réellement, lui inspira que de choses positives. Cependant, il était nécessaire de mettre des points sur les i afin que tout se passe sans danger ! « Je vous préviens qu'au moindre soupçon de danger, vous ne quittez pas mon ombre d'une semelle » sourit-il en étant, toutefois, très sérieux. Sa vie serait foutue s'il arrivait quelque chose à la petite, et que Kalyäh décide de le haïr jusqu'à la mort. Le guerrier soupira, non de lassitude, et regarda un instant toutes ces cartes étalées devant lui, espérant silencieusement que Daëron n'avait rien de grave.

La jeune fille attendit patiemment que l’homme finisse son discours pour reprendre la parole. Ses idées étaient réellement bonnes et la jeune fille aurait surement accepté immédiatement pour une autre personne que Daëron et Kalyäh. Le problème se situait justement là, l’importance que donnait l’enfant à cet homme qui avait quelque peu prit la place de son père manquant était trop grande pour qu’elle ferme les yeux et laisse tout le monde s’occuper de la situation. De plus, l’idée que les gens voient Daëron comme un faible ou une victime en détresse lui donnait le gout de vomir. Elle savait très bien que s’il était porté disparut ce n’était en rien une question de faiblesse. Au contraire, il avait du trouver quelque chose et avait du mal à revenir avec cette dite découverte. Bien qu’elle était réellement avancé pour son âge, la jeune Luna avait encore un mal de fou à faire preuve de sagesse lorsqu’il sagissait de la sécurité des gens qu’elle aimait. C’était un trait de sa personnalité, elle ne pouvait tolérer l’injustice et de voir ses proches être en danger. Elle le regarda doucement avec un air plus calme.

-Merci Mikheil, je préfère réellement que la nouvelle de sa disparition ne s’ébruite pas.

Tout au fond d’elle, l’enfant sentait un énorme soulagement. Elle savait bien que si elle partait seule tout serait mis en place pour qu’elle soit rapidement rapatriée au village. Elle n’imaginait même pas la réaction de sa mère la retrouvant après une telle fugue aussi justifié soit-elle. Elle avait donc imaginer un stratagème pour que la chef la laisse partir sans histoire. Le tout était si simple que très peu de gens auraient vu clair dans ce petit jeu.

-Pour ce qui est de ma mère et des gens du village j’ai pensé à une façon de faire taire leurs soupçons. Je dirai à ma mère que maître m’a mise au défi de le retrouver, que vous serez présent comme observateur juste au cas où quelque chose d’inhabituel se passerait. Nous pourrons effectuer nos recherches sans se cacher ou mentir à tout moment. En même temps, ce ne serait pas étonnant de sa part de vouloir tester, bien que nous savons tous les deux que ce n’est pas le cas présentement.

Elle soupira doucement en fermant les yeux, son mentor lui manquait terriblement. C’était la première fois qu’elle avait quelqu’un qui se rapprochait autant d’un père. Bien sûr, les autres hommes du village avaient tenté de combler ce manque en vainc, aucun n’avaient réussit à animer cette sensation si unique. Avoir été beaucoup plus vieille elle aurait surement pu tomber amoureuse de cet homme, mais il est bien trop tôt pour parler de premier amour. Elle se leva doucement et se tourna vers le monastère qui était visible d’une fenêtre.

-Je vous écouterai et resterai avec vous, mais sachez que je sais me battre et que j’ai appris la boxe de Jade. Vous pourrez le découvrir par vous-même lors de notre voyage.

L'air, en dehors de la petite hutte, semblait se rafraîchir considérablement et s'imprégnait de leur abris, lentement. Mikheil écoutait attentivement la jeune fille qui se trouvait face à lui, tantôt surpris, tantôt compréhensif. Il pensa qu'elle devait vraiment, vraiment avoir de l'affection pour Daëron pour prendre autant de risques pour lui, pour avoir une motivation aussi grande. Le scorpion sourit cependant, car lui-même en ferait davantage pour celle qui comptait le plus pour lui. Bien que la comparaison n'était pas idéale dans leur cas.

Ce qu'il y avait de positif dans son monologue, fut que tous les embarras qui le gênaient jusqu'à présent furent soulagés d'explications et solutions rationnelles, et bien trouvées, il fallait l'admettre. Puisque personne ne s'inquiéterait pour la petite Luna, alors le guerrier ne voyait à présent aucuns problèmes pour lui octroyer son aide.

Lorsque la jeune fille de Dame Kalyäh le rassura aussi sur ses capacités défensives, les lèvres de Mikheil s'étirèrent doucement. Il ne doutait pas une seconde d'elle, mais les dangers extérieurs, avec tous ses prédateurs qu'ils soient hommes ou animaux et qui vagabondaient au dehors ne le mettait pas à l'aise.

« Je serai enchanté d'apprendre la boxe de Jade à vos côtés, je n'en connais absolument rien ! » Rit-il de bon cœur. Reprenant une tranche de viande sèche, il l'avala en silence, sans prendre le temps de la déguster. Luna venait de promettre qu'elle lui obéirait, et ceci fait, il lui tendit sa main droite afin de sceller leur accord. Le scorpion savait qu'elle ne trahirait pas sa parole, car son éducation était une éducation fructueuse, dont les valeurs étaient les mêmes que les siennes.

« Nous sommes dès à présent coéquipier, Mademoiselle Luna. »

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