Mental:

Mon maître est mon exact opposé. Ceci est nécessaire pour qui veut me dompter. Je ne plie que sous une main experte sachant exactement ce qu’elle a fait, ce qu’elle fait et ce qu’elle fera. Mon corps refuse de se soulever sous la poigne d’un manieur violent, dégénéré ou possédant une tare quelconque telle que moi. A ce moment-là, je profite d’un moment d’inattention de sa part pour me retourner contre lui. Khlyriël Sysha est calme, posé, sait ce qu’il veut et a des attentes précises envers moi. C’est ce qu’il me faut. Sa voix aux accents chantant s’élevant très rarement pour converser avec ses congénères ne chante que pour moi seule. Douce, voluptueuse, les accents de commandant se font cependant clairement entendre.

Cependant, ce comportement altier et cette voix ne sont que de façade. Le groupe reflète le comandant, c'est pourquoi on lui a toujours appris à cacher ses véritables sentiments. La réalité, la dure réalité, lui a fait très tôt comprendre que personne n'est immortel, à part les Opalins. Encore inexpérimenté, il doute de lui, se remet sans cesse en question et se fait des cheveux encore plus blancs, presque fait de cristal, à se demander si tel ou tel décision était la bonne. Mais il ne le montre pas. Il déteste qu'on remarque le moindre signe de faiblesse en lui, qu'on détecte la faille. Il n'y a que moi pour remarquer ses cernes sous ses yeux camouflées par un léger voile de poudre habituellement utilisé par la communauté féminine des Nocturnes.

Hors de son travail, il est incroyablement timide, n'osant pas aborder le moindre inconnu. Il peut paraître froid, trop distant. Il n'aime pas attirer l'attention sur lui, se sentant gauche et mal à l'aise. Malheureusement, du fait de sa blancheur, sa compagnie est souvent recherchée et les gens se retourne à son passage. Il n'arrive jamais à s'y faire, se terrant dans des lieux clos tel que la bibliothèque ou des cavernes connues et fréquentées de lui seul.

Son entourage le prend pour un doux rêveur, excellent combattant ayant réussi à s’élever au rang de Sentinelle, mais un peu trop solitaire. Malgré tout, un sourire de sa part rassure vite ses proches. N’aimant pas parler pour ne rien dire, surtout lorsqu’il se sent exclu de la conversation, il a un mal fou à se concentrer et oublie généralement le sujet de discussion s'il est dénué d'intérêt à ses yeux. Il préfère de loin se pencher sur ce jeu de plateau si cher aux Nocturnes où les deux parties font preuve d’un esprit ingénieux pour faire avancer leur pion.

Le Shaë est une de ses passions, l’aidant à canaliser son énergie un peu trop débordante. Une discipline requérant une compréhension et un instinct d’analyse immédiate alliés à une totale compréhension de son adversaire, ce qui lui plaît et l’oblige à utiliser toute sa concentration et toute sa tête. De plus (à insérer ici) Une autre de ses plaisirs est les longues ballades à dos de Parälan, ces félins mesurant un mètre quatre vingt au garrot, recouvert autant de fourrure que d’écailles et possédant une queue finissant en dard mortel. Dès qu’il a du temps libre, mon maître s’empresse auprès de sa monture élevée par ses soins et disparaît pour une durée de deux jours.

Ses escapades lui sont essentielles, tout comme le sont ses entraînements et sa famille. Elles lui permettent d’échapper un court laps de temps à ses obligations, à l’admiration que lui voue son entourage du fait de sa peau si blanche et de rejoindre l’endroit où son maître gît enterré après avoir été consumé par sa rage. Khlyriël Sysha y a assisté, tout comme moi. Cette disparition a causé des ravages dans le cœur de mon jeune manieur, surtout que cet homme était son amant. J’ai cru qu’il ne deviendrait fou et je dois avouer avoir craint de ne le tuer par mégarde suite à une tentative de suicide de sa part.

Cette cicatrice indélébile fait désormais partie intégrante de notre être. Car nos deux être ne forment qu’un Tout et un Un, unis à jamais jusqu’à la mort d’un des deux partis. Mais c’est une autre histoire…

Physique :

Mon maître pose ses mains aux longs doigts sur moi. Il me soulève comme si j'étais faite de cristal, faisant courir la paume de sa main si douce le long de mon manche. Le bruissement de ses vêtements de coton blanc font agréablement écho au chant sylvestre de la forêt. Le contact physique établit, il vient apposer ses fines lèvres en forme de bouton de rose sur ma lame, allongeant son cou de cygne pour toucher le métal. Les soleils perçant à peine les nuages nous illuminent. Ses yeux mi-clos d'un bleu turquoise reflètent un univers autre que celui-ci, notre monde à nous deux seulement. Il est avec moi, il est moi. Je sens son souffle chaud sur ma hampe, volutes vite mélangées à la bruine légère du matin. Ses battements de coeur se font plus lents, son corps se statufie peu à peu, au fur et à mesure que sa concentration augmente. Seul son visage esquisse un geste en ma direction. D'abord son petit nez, puis son front d'une blancheur surnaturelle viennent chercher un appui, suivant ses lèvres. Ses longs cheveux argentés cascadent sur son dos, quelques mèches glissant par dessus ses épaules viennent souligner ses traits d'un finesse sans égale. Se tenant tout contre mon corps de bois et de métal, on ne distingue plus l'être de l'arme. Prenant une grande respiration, il lève sa gracieuse tête vers le ciel et ferme les yeux. Expirant lentement, sa peau devient de plus en plus translucide, dévoilant le réseau bleuté de ses veines dans lesquelles circule sa vie. Enfin prêt, il s'élance vers un ennemi invisible, petit être d'un mètre quarante et de 35 kilos, si frêle et si fragile qu'on aurait peur de le casser en deux. Agile et souple comme le bambou, il se plie, tourne, fend et le décapite d'un coup, s'attaquant déjà à un autre adversaire. Heureuse, je chante pour lui avec des intonations funestes, accompagnée par le pépiement des oiseaux et le murmure de la Nature. Ses gestes sont sûrs, aucun n'est superflu. Le strict nécessaire afin de ne pas user son énergie inutilement.

Histoire :

INTRODUCTION
Mon histoire est entièrement liée à celle de mon maître. J'ai été crée pour lui, ma garde a la forme de sa main, mes défauts sont dus à ses entraînements intensifs. Je suis le journal intime de mon Maître, son confident. Parce que je ne peux pas le trahir. Pourquoi? Tout simplement parce que je suis son arme, l'extension même de ses bras. 
Et pourtant..J'en aurai des histoires à raconter. La plupart sont banales et n'ont aucun intérêt. D'ailleurs, je ne m'en souviens plus. Il ne reste que les plus impérissables souvenirs, ceux créateurs de cauchemars, de questions sans fins, ou de rêves inatteignables...



PREMIERE PARTIE
L'enfance de mon manieur est rare sans non plus déroger à la coutume Des parents fiers de lui grâce à sa blancheur digne de celle des Opalins, une famille unie et sans problème. Mais tout n'est jamais parfait, sinon la vie serait bien trop longue. 
Son éducation se passa sans heurt, sauf les quelques bleus qu'il arbora fièrement devant son père et cacha à sa mère. Il passait le plus clair de son temps avec ses grands-parents, ses géniteurs étant souvent occupés par leur fonction. Il apprit le maniement des mots par sa grand-mère, une érudite, qui se fit un devoir de lui enseigner tout ce qu'elle savait dans le peu de temps qui lui restait à vivre. Son grand-père, un Nocturne taciturne et renfermé sur lui-même, lui enseigna les bases du combat au corps à corps. C'est dans un savant mélange de non-dit et de poésie qu'il grandit, jusqu'à ce qu'il commence à avoir le dessus sur son irascible grand-père et que sa grand-mère ne supporte plus les longues conversations et les trop grands efforts de concentration. 
Son déclin fut rapide. En deux ans, elle finit alitée, son corps s'amaigrissant de jour en jour. Leur roi vint lui rendre visite, comme il le faisait à ses plus loyales serviteurs. 

Ce jour-ci marqua un tournant dans la vie de mon Maître. C'est à cet instant qu'il devint ce qu'il est à présent.
L'Opalin se présenta seul à la porte de la demeure familiale. Non annoncé, sa venue causa du remous dans la maisonnée. Il resta un long moment avec la malade; personne ne sut ce qu'il se dit durant ce temps. Dans la pièce d'à côté, Khlyriël Sysha jouait aux Shaël avec son grand-père désormais mutique. La porte ne fit aucun bruit en s'ouvrant. Juste un murmure sur le moelleux tapis que les deux Nocturnes ne perçurent pas, trop concentrés sur le jeu de leur adversaire. Fatale erreur. 
Une main plus blanche que la neige vint délicatement s'emparer d'un pion et le plaça de telle sorte que le jeune garçon perdit instantanément toute chance de remporter la victoire totale. A peine une ouverture pour faire égalité. 

« He! Mais c'est de la triche! »

Ne relevant même pas la tête alors que son grand-père tentait de lui faire comprendre à qui il s'adressait, il se mordilla le pouce et analysa le plateau sous toutes ses coutures, s'affalant sur le sol afin de changer de point de vue. 

« Aha! Trouvé! »

Il déplaça la figurine à l'exacte place lui permettant d'arracher une égalité.

« Tout de même, ce n'est pas bien d'intervenir dans le jeu des autres, vous ne le sav... »

Il releva la tête pour la baisser aussitôt. Devant lui se tenait son monarque, un sourire amusé flottant sur ses lèvres. De loin il entendit le rire entrecoupé de toux de sa grand-mère qui avait conservé une ouïe d'une grande finesse. 

« J..Je prie votre majesté de me pardonner... »

Les yeux au sol, il ne vit que le tissu soyeux de l'Opalin avant de sentir un doigt sous son menton. Il obéit à cet ordre implicite et releva la tête, plongeant ses yeux dans ceux indéchiffrables de son roi. Son grand-père observait la scène avec son air impassible, même si son cœur menaçait d'exploser dans sa poitrine. Le monarque avait la possibilité de punir cet incident, même si cela l'étonnerait qu'il s'abaisse à châtier un si petit manquement à l'Etiquette. 

« Alors c'est vous, la fierté de Souklaë? »

Rougissant, ne savant pas où poser le regard et n'osant pas non plus le baisser, il finit par fixer les sourcils d'une bancheur de neige de Sylnaäsha Nyl'Nacra. Pensif, ce dernier finit par relâcher le visage du garçon.

« Tu sais bien jouer. En sera-t-il de même lorsque les pions seront des soldats? Que feras-tu lorsque le plateau sera un vrai champ de bataille? »

Ce n'était qu'une question posée à un enfant intelligent mais pas encore tout à fait mûr pour comprendre le sens caché de ces paroles. Toutefois,sa réponse fit naître un second sourire énigmatique sur les fines lèvres de l'Opalin. 

« Je ferai tout pour vous garder en vie. »

La visite se termina sous ces paroles. Le petit garçon et le monarque reliés par la couleur de leur peau ne pouvaient pas savoir à quel point cet échange allait être fondamental pour les décennies à venir...



DEUXIEME PARTIE
Peu de temps après, sa grand-mère mourut. Son grand-père ne tarda pas à rejoindre sa femme, laissant l'adolescent seul avec lui même. Un professeur vint habiter dans le domaine, lui enseignant l'art du naginata. Cette arme hors norme de tous les points de vues était à double tranchant. Plus grande que son manieur, elle pouvait tout aussi bien décapiter son adversaire que lui-même s'il n'y prenait pas garde. Le manche de bois poli à l'extrême et mesurant un mètre n'était pas facile à manier; surtout qu'il n'y avait aucune prise pour éviter que les mains glissent dessus. La lame plus fine et redoutablement plus tranchante qu'un sabre classique lu valut de nombreuses cicatrices.
Il apprit à coup de courbatures et de coupures plus ou moins profondes, à coup d'entraînements à n'importe quelle heure.

« La pratique fait de toi un maître. Pas le talent. »

Encore les mêmes gestes, encore une fois, une heure de plus, un jour de plus, un mois, un an...Toute notion de temps ne comptait plus. Seuls les battements de son cœur prouvaient qu'il n'était pas une poupée, seul le souffle du vent sur sa peau lui prouvait qu'il pouvait ressentir, seule la voix de son professeur prenait sens à ses yeux. Le temps passa à toute vitesse, les entraînements forgeant un corps apte à supporter les épreuves les plus dures et une volonté d'acier. L'adolescent devenu jeune homme vivait dans son monde, un univers où seul lui et Dhaklä, son professeur, existaient. Jusqu'à ce qu'il se noie dans les yeux verts de celui partageant sa vie depuis dix années. 
Des gestes devenant une danse, des papillons tournant autour d'une chandelle sans jamais oser l'approcher de trop près car sachant les risques. Puis un signe, et un autre des deux côtés? Un espoir, des mots, des caresses et des souffles mêlés l'un à l'autre. Le début d'un nouveau rêve, le prolongement de ce quotidien si paisible. 



TROISIEME PARTIE
Leur amour ne choqua personne dans cette nation où chacun était libre de ses choix. Ils vécurent heureux une longue période. Malgré le fait de leur entente parfaite, une dissonance persistait. Khlyriël ne vieillissait pas. Du moins, pas comme son partenaire. Ses traits restaient toujours aussi jeunes, le faisant passer pour le fils de son compagnon. Cela faisait rire Khlyriël mais creusait des rides sur le front de Dhaklä. Pour avoir un de ses parents dans ce cas, il reconnaissait les symptômes d'un Vénérable, ces êtres dotés d'une longévité frôlant l'immortalité. Il fit part de ses soupçons à son compagnon. Soupçons vite confirmés lorsque Khliryël eut à faire face à des Nocturnes de son âge et à constater la différence entre lui et eux. 
Ce fut un tel choc qu'il en perdit sa légendaire blancheur. Un léger voile assombrit sa peau, comme si son corps se rebellait à l'idée même de devoir vivre un jour sans son amant et pour une longue, très longue période. Dhaklä n'étant pas habitué à ce brusque changement d'état d'esprit fit son possible pour rendre sa joie de vivre à son jeune amant devenant au fil des jours aussi mutique que son défunt grand-père. N'en pouvant plus de ces mots jamais dits mais sous-entendus, il se jeta à l'eau.

« Tu t'accables parce que je ne serai plus là un jour? Mais c'est le quotidien de tout un chacun de mourir. Même les dieux meurent pour renaître en étoiles. »

Se taisant, il prit les mains de Khlyriël entre les siennes et les baisa dans une totale absence de réaction de sa part.

« Un jour, on s'est promis de nous aimer jusqu'à ce que la mort nous sépare. Et ce sera le cas. Je t'aime, je t'aimerai jusqu'à ce que je ne meure. Et même dans ce cas, je continuerai de t'aimer peu importe où je serais. »

Des larmes commençaient à inonder le visage du plus jeune. Mais aucun autre signe ne montrait sa détresse. Cependant, c'était suffisant pour son amant qui doucement recueillit tout son chagrin en lui, tout les doutes qui pouvaient encore subsister. Il les transforma en amour et refit ces gestes tant et tant répétés mais pourtant remplis d'amour. 



QUATRIÈME PARTIE
Leur bonheur retrouvé, le quotidien reprit. L’angoisse subsistait tout de même entre eux, chaque jour passait avec une nouvelle preuve du déclin de Dhaklä. Pourtant ce dernier continuait de garder son splendide sourire réchauffant toujours le coeur de Khlyriël.

Son centième anniversaire passé, il fut mandaté par le monarque en son palais afin de recevoir le titre de Vénérable. Ce fut l'occasion pour lui de revoir son monarque qui le reconnu et eut un sourire en le voyant s'approcher de lui. Une courte entrevue de quelques minutes se tint entre eux. Syhlnaäsha Nyl'nacra lui fit la proposition de sa vie, celle d'entrer à la Citadelle et d'y devenir une Sentinelle. Ce lieu auréolé de mystère et de secret donnait des frissons à tout les Nocturnes. Personne ne savait ce qu'il se passait exactement entre ses murs de pierre blanche. Pas un seul souffle, pas un seul murmure ne s'y échappait.
Toutefois, cette offre était des plus prestigieuse et Khlyriël s'empressa d'accepter.

Sa peau d’une blancheur inouïe passait plus inaperçue au milieu de ses camarades, tous des Vénérables comme lui. La vie là-bas était aussi rythmée que celle qu’il menait précédemment, faite d’entraînements et de leçons donnés par divers Maîtres. Il appris à perfectionner ses gestes, à économiser ses forces mais surtout à ne jamais se croire gagnant dès le départ. Ce goût amer, celui de la défaite, lui fut immédiatement inculqué. Son tout premier combat se déroula contre un Maître d'arme. On ne peut pas parler de combat vu qu'il ne dura qu'une poignée de secondes à peine. Un mouvement du bras suffit au Maître pour caresser la gorge de Khlyriël de sa lame. Une seule et unique dizaines de secondes un seul et unique mouvement du poignet. Un jeu d'enfant. Khlyriël n'eut même pas le temps de respirer, pas même celui de cligner des yeux qu'il se retrouva hors d'état de nuire sans pouvoir riposter de quelque manière que ce soit. A ce moment-là, il compris qu'il n'était rien. Certes il avait atteint un âge avancé que n'aurait pas certains Nocturnes. Certes sa blancheur était enviée. Certes il avait atteint un certain niveau de combat. Mais tout ceci n'était rien. Absolument rien face à la sérénité se dégageant de ce Nocturne. Alors il comprit qu'il ne pouvait pas gagner face à lui. Il acceptait de perdre parce qu'il se savait en présence d'un être supérieur, d'un mur pour l'instant hors de portée. Le Vénérable retira son épée de sa gorge en enjoignit d'un mouvement de tête son vis-à-vis à reprendre le combat. Ne pouvant pas gagner, ne pouvant pas éviter ce ruban de métal de venir claquer sèchement contre son arme, il capitula. Ses gestes se firent plus lents, plus précis. Il oublia toute notion d'attaque et se blinda, son seul et unique but étant de tenir le plus longtemps possible face au Maître. Un pas, une jambe se tendant, un bras se déliant. Une danse, deux partenaires s'affrontant du regard, se cherchant, se testant, pour se réunir dans une étreinte violente et passionnée. Finalement, la rupture, toujours brutale. Puis ça recommençait, encore et encore. Mais cette fois-ci, ce fut différent de tous ses entraînements précédents, différent de ses passes d'arme avec Dhaklä. Cette fois-ci, il était un oiseau. Un moineau affrontant un faucon. Ils volaient sur le parquet, ne déclenchant qu'un murmure inaudible, le métal clinquant donnant le rythme de cette valse. Ils étaient dans un Ailleurs qui leur était propre, un monde où eux seuls comptaient. En même temps, il s'effaçaient pour ne laisser que leur arme s'exprimer. Ils intervertissaient les rôles. Les deux Nocturnes n'étaient plus que des marionnettes tandis que leur partenaire était la véritable combattante. Nous nous en donnions à cour joie, chacune venant taquiner sa voisine, essayant de la faire ployer sous son poids. Des gamines. Jusqu'à ce que l'une d'entre elle, trop fatiguée pour jouer plus longtemps, déclara forfait. Moi. Les deux pantins reprirent vie, s'étonnant presque de l'issue du combat.

Son admission fut immédiate. On le reconnu comme un membre admirable de la Citadelle. Mais cette liste changeait perpétuellement, ne laissant jamais au possesseur de ce titre sans médaille et non reconnu officiellement le temps de savourer, le temps de se rendre compte de l'effort fourni. Le mauvais côté étant qu'une lutte sans réel gagnant opposait les étudiants entre eux; le bon fut que Khlyriël développa son goût pour les études et appris à ne jamais se reposer sur ses lauriers.

Il n'avait plus revu le monarque depuis sa nomination au rang de Vénérable. Ce fut une agréable surprise pour lui de le croiser au détour d'un couloir. L'Opalin semblait tout savoir de lui, de ses goûts et de ses dégoûts. Troublant, très troublant. Avait-il une chambre avec vue directe sur la Citadelle? L'idée qu'il puisse passer ses journées le nez collé à la vitre de sa chambre arracha un éclat de rire intérieur au Vénérable qui se garda bien de ne pas le partager avec son roi. Ce dernier était en réalité venu dans le but de s'entraîner avec ses soldats. Un par un, ils croisèrent le fer avec lui. Personne ne lui résista, Khlyriël ne fit pas exception. Mais il sentit, alors que sa lame glissait sur celle de son partenaire, un intérêt plus vif, un regard plus perçant sur lui que sur les autres. Vanité, tout n'est que vanité. Il se persuada qu'il n'en était rien.
L'issue de cet examen satisfit l'Opalin qui parti sans demander son reste, après avoir saluer chacun de ses adversaires. Il s'attarda auprès de lui, le sondant de son regard d'acier, et lui murmura:

« Vous êtes talentueux.
-La pratique fait de vous un maître. Pas le talent. »

Un souvenir, une voix qui n'est pas la sienne, une autre époque. Ce fut l'effet qu'eut cette réplique sur Khlyriël. Syhlnaäsha Nyl'nacra remarqua-t-il ce trouble sur le visage du Vénérable?

« Le talent fait de toi un artiste. Et ton art te rend unique. »

Un sourire énigmatique et il partit, le laissant méditer ses paroles.



CINQUIÈME PARTIE
L'Art. Une notion invisible et pourtant présente dans toute chose. Khlyriël n'avait jamais penser à être unique. Il voulait seulement être utile, rien de plus. Mais désormais, une nouvelle voie se traçait devant lui. Il ne pouvait pas la laisser de côté, la négliger et peut-être gâcher une chance de découvrir de nouveaux horizons, de dépasser encore ses limites et sa vision du monde. Être unique. Être finalement seul, sans personne avec qui échanger, sans corps contre lequel vous confronter. Cela ne le tentait pas. Mais il ne pouvait empêcher ces mots de résonner dans sa tête, de former une chanson aux accents charmeurs. Une mélopée douce et captivante ne demandant qu'à vous bercer. Il parla de cette entrevue qui n'en était pas une à Dhaklä. Ce dernier avait arrêté tout enseignement et vivait dans leur maison comme ils le faisaient avant. Il devenait de plus en plus faible, perdant parfois le contrôle de lui-même et tremblait comme une feuille. Ces instants-là déchiraient le coeur de Khlyriël. Il s'en voulait de laisser son compagnon dans cet état. Il avait une seule fois émis le souhait de quitter la Citadelle pour pouvoir s'occuper de son amant. Ce dernier était rentré dans un accès de colère noire, si noire qu'il en vint à frapper le mur et à y laisser l'empreinte de son poing. Il détestait, comme tous les Nocturnes, montrer ses faiblesses. Et il haïssait causer du soucis à ses proches, plus particulièrement à son amour. Ce dégoût de soi-même ne fit que précipiter sa fin.

On ne sut jamais exactement où se trouvait son corps. Du jour au lendemain, toutes ses affaires disparurent de leur maison. Plus aucune trace de Dhaklä nulle part. Khlyriël eut l'horrible surprise de trouver une demeure vide de toute présence, vide de toute odeur. Il chercha partout, souleva chaque objet et arpenta longuement les alentours. Les Nocturnes l'aidèrent dans sa recherche, mais rien à faire. Lorsque Dhaklä voulait quelque chose, il l'obtenait, peu importe comment. Il avait souhaité disparaître pour de bon, il avait réussi. Echec et mat, Khlyriël. En désespoir de cause, il se réfugia dans la caverne où ils avaient l'habitude de se rendre pour se reposer seuls. C'était leur jardin secret. Un magnifique Eden, une clairière étrangement lumineuse grâce à des végétaux fluorescents. Un vénérable cerisier se dressait en son centre, ses fleurs rendues grises à défaut de recevoir le moindre éclat solaire. On ne sut pas combien de temps Khlyriël passa en ce lieu. Beaucoup de temps, si on en croit les rumeurs. On le crut mort.
Mais avant que cette rumeur ne parvienne aux oreilles du monarque, il reparut. Cependant, on douta de son identité. Le véritable Khlyriël n'avait pas ce voile grisâtre; ses yeux n'étaient pas constamment à demi-fermés; sauf après un entraînement nocturne; il était beaucoup plus bavard et aimait plaisanter même si'l savait rester discret. Désormais, il n'était plus qu'une coquille vide, son âme continuant la recherche de son bien aimé que son corps ne pouvait effectuer. Seul subsistait son Art, son plus précieux trésor, l'héritage de Dhaklä.



ÉPILOGUE
Je suis devenue la raison de vivre de mon maître, le seul lien le rattachant encore à la vie. Jour après jour il répète inlassablement les mêmes gestes. De cette manière, il est sûr de ne provoquer aucune brisure fatale à son mental. Il a abandonné sa maison. Il vit à la Citadelle; on le surnomme le fantôme. Le rare point positif est qu'il sait être invisible, se fondre dans le décor, faire oublier sa présence. Une aptitude précieuse pour une Sentinelle, grade auquel il est parvenu il y a quelques jours.

Je suis près de lui, adossée à un mur. Il s'habille de ses plus belles parures même si je sais qu'il n'y prend aucun plaisir. Il a conscience qu'il faut entretenir les apparences. Aujourd'hui, il sera officiellement nommé à son poste. La suite, je ne la connais pas encore. Un dernier regard morne à son reflet et il s'empare de mon manche, prêt à affronter le monde extérieur, prêt à affronter une journée supplémentaire d'un cauchemar qui n'a que trop duré...

Section hrp

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