L'océan tout entier semblait calme et paisible. Un visiteur étranger ne se douterait pas qu'une multitude d'espèces grouillaient sous ses vagues qui ne se montraient nullement déferlantes, afin de mieux attirer et jouer avec les curieux qui se risqueraient à visiter les lieux. Lorsque l'on s'y attarde, ce n'était guère un endroit accueillant, et pour les quelques humains qui y vivaient, les temps étaient durs. Non seulement les vivres disparaissaient peu à peu, mais une nouvelle race de ces requins belliqueux avaient vu le jour, et ils n'étaient pas aussi amicaux que leur cousin à trois piques dorsales.

A bord de l'immense navire à la réputation déchue, l'anxiété était à son comble. Il y aurait sans doute eu de nombreux suicides de la part de l'équipage si le capitaine des lieux n'avait pas l'expérience d'une vie et des générations passées. Son sang-froid laissait croire qu'ils pouvaient s'en sortir sans dommage, sans aucuns soucis apparents... Cela dit, leur première rencontre avec ce nouveau et terrible prédateur de minimum trois mètres de long laissait place au doute et à l'appréhension.

C'était une nuit, aux allures tranquilles, où le capitaine vaquait à ses occupations dans sa loge principale. Son équipage avait quartier libre, et des petits groupes s'étaient formés pour des lancés de boules de canon. Parmi tous ces hommes, pour la plupart aux relents repoussants mais compréhensibles, un petit garçon âgé de moins de dix ans se tenait au milieu. Il essayait tant bien que mal de voir la partie qui se jouait à quelques mètres de lui... Cependant, de par sa petite taille, tout ce qu'il pouvait distinguer était des jambes, des armes gisant fièrement sur des ceintures, et le bourdonnement de rires gras et exagérés.
Il soupira et rebroussa chemin, poussant ses infâmes pirates pour aller se réfugier sur le balcon arrière. Le petit bonhomme se recroquevilla et observa le ciel étoilé. Il ferma un instant les yeux, faisant abstraction du reste, et n'entendit que la douce mélodie des vagues qui poussaient le bateau vers sa destination incertaine. Au milieu de ses pensées mélancoliques, il songea que c'était bien triste d'être fils de pirate lorsqu'on n'était pas intéressé par toute cette brutalité.

Un son aiguë chatouilla soudainement ses oreilles. Il se les frotta d'un coup de main, quelque peu dérangé. Se relevant lentement, il observa minutieusement les alentours avant de comprendre que la source venait des profondeurs de l'eau... Ses petits yeux s'écarquillèrent d'horreur en distinguant, sous l'eau, plusieurs ombres tourner autour du navire. L'enfant voulut donner l'alerte, mais aucun son ne sortait de sa gorge paralysée. Tout ce qu'il arrivait à faire, c'était continuer à regarder ces géants, dont leurs pupilles brillaient d'un orange vif et agressif.

Soudainement, un énorme coup fut donné dans l'extrême droite du bateau, suivit de plusieurs chocs identiques. A bord, les ordres du capitaine tonnaient déjà et les cris des matelots fusaient en tout sens. Le petit garçon, toujours sur le balcon arrière, s'était agrippé à la rampe. Il fixait le regard d'une de ces bêtes, qui se rapprochait de lui à une vitesse vertigineuse...
L'énorme requin sauta la gueule grande ouverte, dévoilant ses innombrables canines pointues et scintillantes, aussi tranchantes qu'une épée plusieurs fois aiguisée.

Parmi le capharnaüm infernal qui se déroulait plus loin, l'un des pirates se retourna vers la source du cri qu'il venait d'entendre. Il n'y avait plus de petit garçon, juste une énorme flaque d'eau qui laissait deviner la tragédie.