Syhl aimait parfois fouler à pied son royaume, de temps en temps il prenait la tête d’une patrouille et faisait le tour de Cartale. Il est bon de se rendre compte de certaines réalités par soi-même. De montrer sa présence de temps à autre. Il est le souverain des Nocturnes, chargé de leur protection. Il est avec Kehl le meilleur guerrier de son peuple et ne craint nul adversaire. Alors qui pourrait bien envisager sottement de l’attaquer. Seul un fou, un inconscient ou un désespéré...

Entourer de cinq Sentinelles, il passa aux abords de la frontière Nord qu’il convient de surveiller avec grande attention en ses temps de troubles. Cartale est sans peur, ils se sont préparés depuis tant d’années. Kandor commence déjà à trembler au simple son des rumeurs, bientôt les royaumes humains s’effondreront, uns à uns ils tomberont et les Exilés reprendront ce qui leur appartient de droit. Les nobles descendants des Back’ashanme domineront la faible race des hommes. La vengeance ardent qui consumait les Nocturnes serait enfin rassasié, leur évolution verrait un nouveau jour se lever, les Nocturnes deviendrait plus purs, plus puissants encore. Un jour, ils envahiront la surface.

Mais pour l’heure il n’est pas question de guerroyer, ils se contentent de se tenir prêts, de protéger le seuil de leur royaume invisible. Personne n’a jamais rien vu, mais tout le monde sait que quelque chose réside, tapis en Cartale. Tout le monde sait que la montagne cache un sombre pouvoir qui attend son heure, ne laissant jamais de survivant et dont personne n’a pu témoigner jusqu’alors.

Progressant entre les troncs du Murmure Sylvestre, ils finirent par se rendre compte qu’ils n’étaient pas seuls. Fait très rare, un étranger foulait leur sol, audacieux ou téméraire. Trop, quoi qu’il en soit. Les oiseaux ne chantaient plus et le bourdonnement des insectes était plus léger dans l’air, autant de signes avertissant de la présence d’un inconnu sur le sol mousseux de la forêt. Syhl fit signe aux Sentinelles de se déployer en silence pour encercler la personne, qui qu’elle fut. Sans un bruit, les agiles silhouettes taillées dans des armures solides mais souples prirent position. Syhl s’avança à son tour quand la menace fut repérée et jugée incapable de lui nuire. Vêtu d’une tenue de combat légère aux passementeries discrètes, mais néanmoins suffisamment présentes pour que l’on devine se trouver face à quelqu’un d’important, il se présenta dans la clairière prêt d’une rose belle et fragile. Une étrangère elle aussi, une graine égarée loin des siennes. Le Murmure Sylvestre possède une végétation qui lui est propre, à nulle autre pareille. Le pas sûr et le maintient royal, Syhl plongea ses iris d’un gris acier méfiant droit dans celle de l’inconnu sans hésité une seule seconde ni manifester la moindre peur ou doute. Une force implacable se dégageait de son regard, un magnétisme incommensurable. Il était curieux de voir quelle réaction son apparition allait déclencher.

Sa peau d’une blancheur irréelle, ses longues mèches soyeuses tant à la vue qu’au touché, d’une couleur nivéal éclatante, sa petite taille, ses oreilles elfiques. Ses vêtements d’une richesse apparente mais d’une conception unique. Un entrelacs métallique si fin et subtile sur un cuir léger donnant un ensemble argenté, mêlant une impression de rapidité inquiétante et de puissance attirante. A la fois si beau et si dangereux. Un lion roi de son territoire aux griffes acérées. Oserais-tu le défier étranger ?

Musique

Un frisson de plaisir glisse somptueusement sur son échine. Tétanisé, il l’a tétanisé. Transpercé de son regard centenaire, et brûler de l’ardente flamme qui anime les abysses insondables de son regard. Chez lui, Syhl est roi, sa puissance n’a d’égale que sa magnificence. Chez lui, ses paroles et actes font loi. Personne n’a jamais osé le défier directement. Cet étranger pas plus que les autres, lui aussi à flairer le danger. Il ne tient pas à mettre sa vie en péril pour si peu. Avec une agilité féline il se terre à l’ombre du tronc, fuyant ce regard impérieux capable de dompter les cieux.

Les cinq de bougent pas, ils sont autant de barreaux d’une cage invisible, dans laquelle ils ont capturé une âme égarée. Mais qui est-il ? En le voyant se mouvoir, habile et léonin une seule réponse plausible semble apparaître. Seul un elfe ou un thériantrophe en serait capable et nulle oreille effilée n’encadre son visage. Ses traits sont trop durs, trop forts pour être un de leur cousin des forêts. Non c’est un de ses êtres mi homme, mi animal. Syhl en a très peu croisé en plus de quatre siècles d’existence. Alors la curiosité s’infiltre dans ses iris méfiants, les rendant plus clairs à nouveau, sans toutefois retrouver leur blancheur nacrée initiale. Immobile, sa silhouette sculpturale attend, un geste, un mot, un signe quelconque. Finalement le félin quitte les branches avec aisance pour gagner le sol sans heurt. La distance les séparant, il pourrait la franchir si rapidement, il pourrait l’abattre si facilement... Car cet étranger ignore nécessairement la célérité dont est capable son hôte. Aussi rapide et silencieux que le vent, il pourrait mettre un terme à l’entrevu, définitivement. Ce serait simple, personne ne le lui reprocherait.

Mais il est bien plus sage que cela. Avant de prendre une décision sur son sort il doit savoir qui il est, et ce qu’il fait sur leurs terres.

Le regard dur, taillé dans le diamant, Syhl darde toujours ses iris inquisiteurs sur l’inconnu, ne lui donnant aucun répit, cherchant à éprouver les tréfonds de son être pour cerner son âme. Son cœur bat sur un rythme rapide, son sang bouillonne dans ses veines, il dégage plus de chaleur qu’un humains, et bien plus qu’un pâle Nocturne.

« Qui es-tu ? »

Sa voix cristalline paraît irréelle, aux sonorités éthérées, elle semble provenir des lèvres d’un archange. Pure et puissante, elle transperce les cœurs aussi surement que son regard. Le ton est implacable, clair et absolu. Impensable de ne pas lui répondre.

Musique

A peine l’ombre d’un sourire vint flotter sur ses fines lèvres. Agacer les autres est le meilleur moyen de les troubler, de leur faire perdre le contrôle. De leur voler leur courage.

Son vis-à-vis est grand, très grand. Les Nocturnes étant pas nature de petite taille et les Thériantrophes de grande stature, la différence est assez impressionnante. Mais cela ne le gêne pas. La force qui l’habite est bien supérieure à celle d’un faible mortel. Mais étrangement, de voir l’agacement poindre sur le visage intéressant et intriguant de ce jeune inconnu, d’entendre les quelques mots répliqués ; tout cela l’emplit de curiosité. Son expression se radoucit, ses traits délicats se font plus accueillants et tendres, ses pupilles reprennent leur couleur lumineuse. La réponse lui tire un très léger sourire, tout juste perceptible. Fugace et éphémère, comme la vénusté de la rose, spectatrice muette de la scène.

En aucun cas il n’a peur, aussi le laisse-t-il approcher sans bouger. Son attitude est plus sereine et détendue, comme un voile de glace levé par d’insaisissables courants, la froideur a passé. Plus simple se fait l’enveloppe, ce petite être blanc semble alors si fragile, comme fait de cristal. Si fin qu’au moindre choc on pourrait penser briser un si bel objet, perdu à jamais. Tout l’opposé de la forte carrure lui faisant face. L’inconnu s’avance toujours vers lui, à mesure que la distance disparaît, Syhl semble devenir de plus en plus frêle. Comme un petit lutin sensible, un assemblage instable de cristal et d’eau prêt à vaciller à tout instant. Il réagit à peine quand l’arme s’était échouée à ses pieds, il ne réagit pas plus quand l’étranger fut si prêt qu’il pourrait le touché en tendant la main. Se contentant de le regarder de ce regard curieux.

Ce sont là les deux aspects de Syhl, l’immuabilité du marbre, sa force et sa dureté. Et la fragilité du cristal, son aura transparente, lumineuse et clair. Qui est-il réellement ? Même les plus sages ne pourraient le dire.

Comme en réponse à la question du félin, son apparence semble avoir changé, sa présence, sa prestance s’est transformée. Le mystère demeure complet et le rire de l’étranger fait sourire Syhl, un étrange sourire, amusé, naïf et candide. Il n’y a plus trace de l’être séculaire et sage qui se tenait là quelques minutes plus tôt. Il n’y a plus qu’un jeune sylphe. Mais nulle réponse ne se profile sur ses douces lèvres. Donner le nom de leur race serait insensé et inconscient. La métamorphose à dû le surprendre car il se recul soudainement. Quelques sons étranges et chantants s’échappent dans un murmure. La langue est ancienne, belle et magique. Lentement les cinq y répondent, tournant le dos à la clairière ils s’éloignent, disparaissant dans la forêt. Laissant seul ce Thériantrophe avec une étrange nymphe masculine. Sans réponse à ses questions.

{NB : métamorphose et transformation à prendre au sens figuré}

Ce Thériantrophe n’est en rien dangereux. Et il ne cherche pas à l’être. Mais Syhl reste prudent. Il devrait le tuer, ne prendre aucun risque. Les étrangers n’ont pas le droit de demeurer sur leur terre, et maintenant qu’il a croisé ses habitants, sa langue pourrait être bavarde et causer plus de dommage qu’une lame. Alors pourquoi n’a-t-il pas encore fait couler ce sang qui lui importe si peu. Syhl le sait parfaitement mais il n’en dira rien. Ce voyageur à bien de la chance.

L’importun, parfaitement inconscient de la précarité de sa position se coule à terre pour s’y étendre. Profiter du parfum des fleurs, du vol des nuées. L’Opalin le laisse faire, il l’écoute pour le moment. La petite bête qui s’échappe du poing de l’étranger le fait sourire, venant se poser sur son nez, elle s’envole après quelques secondes dans un froufrou d’ailes discret. La lumière dessinant chaque veine à travers la fine membrane lui permettant de voler. C’est un polinisateur, une brise légère disperse le pollen bleuté de sa peau et Syhl brise le silence dans lequel il s’était muré.

« C’est un Akiël. Vous n’en trouverez nulle part ailleurs. En revanche les vôtres sont plus au Sud ou dans les lointaines terres gelées, par delà le Sanctuaire. Desquels êtes-vous voyageur ? »

Disant cela il s’était baissé souplement pour récupérer l’arme gisant au sol. Sans lui accorder d’intérêt particulier il vint la planter d’un geste ferme à côté de la tête de l’inconnu. Autant pour la lui rendre que pour lui signifié qu’il n’a pas à rester.

« Vous n’avez pas votre place ici. Je vais vous conduire à la frontière Sud. Si vous préférez la Nord, vous ne l’atteindrez jamais... »

La menace était à peine voilée. Il n’avait qu’une échappatoire, rejoindre le peuple de Kalyäh Taliësin ; ou mourir. La raison en est secrète, mais s’il accepte de vivre, il comprendra bien assez tôt.

Attendant une réaction de sa part, Syhl le fixe attentivement. Son regard clair est patient et ses traits détendu. Il n’y a pas à hésiter.

{Désolé pour ce post un peu médiocre, j'ai eu une nuit très difficile}

D’un geste plus rapide et sûr que la lumière une lame fend les airs, le tranchant glacé appuyé contre le cou du Thériantrophe. Une veine y palpite, apeurée. La lame ne tremble pas ni ne vacille, silencieuse et immobile elle fait planer une menace bien réelle. Le monarque fît un pas, s’approchant de sa proie, son coude se plie en suivant le mouvement. Il approche ses lèvres tout près de son oreille, son souffle chaud caressant la peau de l’étranger il lui murmure d’une voix vibrante et chaude, chargée d’une étrange cruauté mêlé de sensualité.

« Je te laisse trois possibilités. Aller à la rencontre de ton destin au Sud... Me jurer allégeance et repartir vers le Nord ou... me suivre jusqu’à mon palais... »

En prononçant ses derniers mots il effleura son cou d’un baiser sucré, cherchant une réaction.

« Mais tu n’en repartiras pas avant plusieurs années... »

Syhl s’amusait avec sa victime, parfaitement conscient de sa supériorité et de l’effet qu’il pouvait provoquer. Il aimait dominer les races plus faibles, leur faire comprendre qu’ils n’étaient rien comparé à lui, faible et impuissant, sa vie était prisonnière de ses doigts délicats. Se reculant légèrement pour regarder son visage, à à peine un centimètre du sien il scrutait ses traits, sondait son regard. Ses propres pupilles prenaient une coloration orangée légère mais visible. Il ne le reconnaître pas mais cette étranger l’excitait un brin. Le fin sourire délicieusement accroché à la commissure de ses lèvres attendait une réponse, un tantinet moqueur.

« Je devrais te tuer sur le champ, personne ne me contredirait... »

Ajouta-t-il après un court silence, pour insisté sur la fragilité de sa situation et sur la chance qu’il avait d’encore sentir son cœur battre dans sa poitrine. Haussant légèrement un fin sourcil il lâcha un dernier mot pour le faire craquer.

« Alors ? »

Le manège fonctionne, Syhl perçoit le trouble de la frêle créature prise au piège entre ses lèvres et sa lame. Un sourire satisfait s’éprend de ses traits sans qu’il ne s’éloigne alors que sa proie le tutoie. Elle non plus ne souhaite pas créer de la distance entre eux. Qu’elle étrange personnage toutefois, si bavard. Il parle et décrit le piège, dans lequel il est pourtant tombé, avec intelligence. Etonnant et visiblement insuffisant pour s’en extirper à temps. Et voilà qu’il rit même. La folie semble le gagné et la démence l’emporte, il s’écroule à terre obligeant l’Opalin à retirer rapidement sa lame afin de ne pas le saigner. Syhl l’observe très surpris par la tournure des évènements. Cet animal est malade, il souffre de maux anciens dont les plaies suintent encore d’un venin tenace. Le roi le regarde se rouler à terre inconsciemment, arraché au réel par de sombres souvenirs. Et quand enfin cela cesse, des excuses résonnent à ses oreilles, accompagnées d’explications. Le Thériantrophe vient de lui offrir un moyen de pression inespéré. Imbécile ou naïf ?

Tendant les mains l’inconnu retrouve tout son aplomb, son sourire d’insolent reprend ses droits. Syhl ayant rengainé son sabre pendant la crise lui attrape les poignets et le relève sans mal, autant pour lui prouver sa force et lui signifié qu’il pourrait le briser à mains nues que pour le rapprocher de lui au point de frôler ses lèvres des siennes, en lui posant une question d’un timbre chaud et ténébreux, poursuivant par la même son petit jeu.

« Quel est ton nom beau Thériantrophe ? »

Bien entendu il n’a pas répondu à sa question, préférant laisser le doute et les désirs planés, hors de portée. Ayant obtenu son nom il le lâche et s’éloigne de quelques pas avant de pousser un étrange sifflement, aigu et sinistre, comme un cri de prédateur. Le vent seul réplique en faisant bruisser les feuillages, jusqu’à ce que... une masse grise et imposante fende la végétation en feulant s’arrêtant devant son maître. Un grondement sourd montait de sa poitrine, des crocs proéminents évoquant clairement en lui un carnassier. Une longue queue lui sert de balancier, c’est un félin, un grand félin. Il est scellé et n’attend plus que son cavalier. Caressant sa tête d’une main affectueuse Syhl sourit à la vue de la bête. Enfin il se retourne pour regarder droit dans les yeux l’étranger.

« Voici Sahÿ c’est un Nashklä. »

Lui annonça-t-il en espérant l’avoir impressionné. Sans se départir de son air mutin il attrape un ruban de tissu dans les sacs de scelles de l’animal et se rapproche de Raphaël.

« Tu monteras à l’aveugle. »

Sa voix ne laissant pas supposé qu’il avait le choix.

« La deuxième est fois est toujours plus sûr que la première. »

Sans lui donner d’avantage d’explication Syhl noue le ruban autour de la tête de Pheles, bandant son regard pour le rendre aveugle à tous les chemins. Bien sûr qu’il se souvenait de son nom, mais souvent la première réponse est fausse ou incomplète, voire les deux. À présent il était fixé, il s’appelait bien Pheles bien qu’il manquait là un nom ou peut-être est-ce un prénom ? Ça n’avait guère d’importance, quel que soit son pseudonyme c’était sa vie qu’il avait en sa possession. Le guidant jusqu’à Sahÿ, Syhl l’aida à s’installer sur son dos avant de sauter agilement en scelle devant lui. Lui soufflant de se tenir à sa taille il fit s’élancer le Nashklä dans la direction indiquée d’un bond puissant. Syhl aimait la sensation du vent sifflant à ses oreilles effilées, l’adrénaline conférée par la vitesse, quelle grisante émotion. Une question essentielle demeurait toutefois : par où allait-il passer ? Les Sentinelles devaient l’attendre à la Lune de Nacre, c’est donc là-bas qu’ils iraient. Et pour cela il faudra escalader les montagnes.

« Accroche-toi bien le nordique. »

La traversée des sous-bois ne fut pas bien longue et bientôt la falaise se dressa devant eux, majestueuse et imposante de verticalité. Seul un Nocturne ou un Nashklä pouvait y trouver un chemin sûr, du moins sûr pour eux. Or il n’est pas de meilleurs grimpeurs que ses deux espèces ci. Sahÿ n’hésita pas et se lança dans l’ascension en serpentant le long des flancs de la montagne. S’ils n’avaient été que deux, Syhl lui aurait fait emprunter un chemin plus direct, mais avec un passager non-voyant, il préférait passer par des sentiers moins escarpés, quitte à prendre un peu plus de temps.

[La suite ici]