La chef des thériantrophes fut heureuse de regagner ses terres, exténuée par le voyage et les combats dont elle ne prenait pas plaisir. Quelques uns osèrent lui poser des questions sur son séjour en terres humaines, mais elle garda le silence sans répondre à aucun d’entre eux, ni même à son bras droit et surtout pas à sa fille. Elle reprit le contrôle des siens sans difficulté et les choses rentrèrent dans l’ordre… ce qui c’était passé là-bas devint rapidement qu’un simple souvenir enfoui dans sa mémoire.

Bien que le temps réussi à lui faire oublier ceux qui en avaient voulu à sa tête, quelque chose persista dans son esprit, quelque chose qu’elle n’arrivait malheureusement pas à oublier. Artemis… il lui avait promis qu’il reviendrait dans sa jungle même s’il savait qu’il n’était pas le bienvenue, du moins pour tout le reste de son peuple. Sachant cela… elle avait prévenu les siens, leur racontant qu’il lui avait sauvé la vie, que sans lui, elle serait probablement déjà morte. Les siens avaient acceptés de la croire sur parole, et elle leur ordonna de l’avertir s’ils avaient connaissance de son apparition dans la forêt. Ils ne devaient pas le tuer ni l’attaquer, c’était évident, ils devaient seulement l’avertir.

Les heures défilèrent ainsi que les jours, le temps semblait plus long, elle n’aurait su dire pourquoi. Quoi qu’il en soit, à l’aube d’une journée pluvieuse, un de ses hommes arriva en courant, brandissant sa main d’un côté et de l’autre. S’arrêtant devant Kalyäh et posant ses mains sur ses genoux pour reprendre son souffle, il dit : « Ma chef… il est revenu. ».

La thériantrophe déposa le sceau d’eau qu’elle tenait entre ses mains et le regarda d’un air surpris. Il ne semblait pas effrayé, elle savait que rien de grave ne s’était produit. Ils attendaient sagement ses ordres. Elle le remercia et tourna les talons, se rendant dans sa tente pour prendre ses armes, comme elle le faisait chaque fois qu’elle quittait le campement.

Ils étaient relativement loin du campement, mais elle savait qu’elle avait le temps… dès qu’il avait franchit la frontière, certains des siens devaient l’avoir suivit jusqu’à l’endroit où il avait été aperçu la première fois. Le thériantrophe qui lui avait annoncé la nouvelle prit la forme de son totem, c’est-à-dire un singe, et ouvrit la route sans prononcer un mot de plus. Il s’agrippait aux arbres et se balançait d’un à l’autre avec une délicatesse surprenante. Une fois arrivée à destination, Kalyäh pu discerner les paroles de l’assassin et elle reconnu sa voix.

Le singe s’arrêta et grimpa sur une branche, pointant l’endroit où se trouvait ce qu’elle cherchait. Derrière l’épais feuillage, elle pouvait apercevoir Artemis, constatant qu’il était prudent et à l’affut du moindre mouvement. Elle s’avança sans plus tarder, dévoilant sa présence ainsi que celle de plusieurs d’entre eux. Un faible sourire apparu sur son visage, serait-elle heureuse de le voir? Personne ne saurait le dire, mais son regard sauvage fixa l’assassin.

« Vous avez tenu parole…»Dit-elle avec une touche d’amusement.

Même s’il contredisait ce qu’elle lui avait dit avant qu’il ne quitte ses terres la première fois, elle ne sentait pas le besoin d’être hostile cette fois. Les siens s’étaient d’ailleurs calmés à son égard, sachant qu’il avait sauvé la vie de leur chef. Bien que la mort restait encore dans leurs cœurs, ils auraient d’autant plus pleurer cette de Kalyäh, qui était une femme à qui ils tenaient.

L’atmosphère était beaucoup plus agréable que lors de leur première rencontre. Déjà, les siens n’envisageaient pas de le tuer et de lui faire payer son offense envers le peuple, quoi qu’elle pouvait encore déceler une certaine rancune. Les thériantrophes ne savaient pas tous pardonner si facilement. La chef quant à elle n’accordait qu’une seule chance de se racheter, et si celle-ci était gaspillée, jamais plus elle ne pourrait accorder sa clémence à Artemis, ou tout autre être la trahissant. L’assassin s’avança vers elle, on pouvait dénoter l’assurance de l’humain, comme s’il savait qu’il ne craignait rien. Le laissant s’approcher jusqu’à moins d’un mètre, la thériantrophe l’observa sans aucune crainte. Elle était en position de supériorité et cette fois, elle savait qu’il n’avait trahit aucune règle…

Le silence s’installa, pendant les quelques secondes qui suivirent, qu’un regard fut échangé, sans plus. Les hommes autour ne pouvaient comprendre ce qui se passait, mais restaient tout de même vigilants, contrairement à l’allure qu’avait Kalyäh. Sortant sa main de sa cape, chose qu’il faisait très rarement, il l’approcha de son visage. La thériantrophe fut d’abord surprise par ce geste qui pouvait sembler anodin, mais qui finalement était plein de sens. Elle eu le réflexe se reculer légèrement, mais pas suffisamment pour qu’on le remarque vraiment. Il posa sa main sur son épaule et dit « Heureux de vous revoir Kalyäh, vous m’avez manqué.» Son ton fut chaleureux et on dénotait une certaine sincérité, ce qui semblait plutôt rare chez lui, lorsqu’on se fiait aux dernières rencontres qu’ils avaient eu. En rangeant sa main, il lui confia qu’il était revenu en paix, mais aussi pour en découvrir un peu plus sur leur peuple. Elle fut flattée de voir que quelqu’un pouvait s’intéresser à eux, sachant que la plupart des humains les maudiraient, surement par jalousie. En rangeant sa main il dit :

« Je suis revenu pour vous Kalyäh, vous me fascinez au plus haut point depuis notre première rencontre. » Ajouta-t-il à sa grande surprise.

Kalyäh était étonné de sa franchise et se demandait jusqu’à quel point son discours changerait. Disait-il cela pour l’amadouer d’une quelconque façon? Elle dénotait la même sincérité de ses paroles, accompagnées d’un sourire. S’il tentait de la duper, son jeu était parfait. La thériantrophe le fixa quelques instant, hésitant à répondre… elle ignorait s’il s’agissait d’une façon de la courtiser, elle-même n’étant pas habituée à ce genre de pratique et surtout, n’appréciant pas particulièrement. La chef du clan du sud se laissait difficilement approcher, tellement que la plupart des hommes abandonnaient dès le début.

Elle fit finalement signe aux siens de retourner au campement, et ils obéirent sans discuter. Ils avaient une certaine confiance en leur chef, celle-ci leur ayant toujours prouvé qu’elle était à sa place. En à peine quelques minutes, ils n’entendirent plus de bruit dans la jungle, certifiant que personne ne les observaient. Ses hommes n’avaient pas à assister à cette discussion, surtout qu’elle ne se sentait point en danger.

« Et pour quelle raison, moi ou mon peuple, serions nous plus fascinants qu’un autre? Si vous voyagez un tant soit peu, comme vous semblez le faire régulièrement, vous comprendriez que le continent de Merak est bondé de cultures différentes, et surement toutes aussi fascinantes. »

La thériantrophe sourit à la suite de ses paroles et ajouta : « Je suis tout de même flattée de vos paroles. Je suis heureuse de voir que vous avez terminé ce que vous aviez à faire encore sur vos terres… » Et il était en vie, c’est ce qui comptait.

Sans trop savoir pourquoi, elle aurait certainement été affectée s’il n’était jamais revenu, elle avait un certain attachement envers lui… cela était peut-être du au fait qu’il lui ait sauvé la vie, ou à un certain attachement envers lui.

« Ne restons pas là, vous devez être épuisé. » Dit-elle en tournant les talons. Elle le ramènerait au petit campement où elle passait la semaine, le même que la dernière fois. Ses pas étaient lents, lui permettant surement de la suivre dans cette jungle parsemée de pièges.

L’humain prit quelques instants avant de la rejoindre, un temps qui lui paru une éternité. Elle qui comptait chacune de ses secondes, elle qui voulait savourer chaque instant de cette douce vie. Quant à lui, il semblait apprécier la vue qu’il avait dans cette jungle, chose dont il n’avait pu profiter la première fois. « Votre peuple est remarquable. » Dit-il pour commencer. Le visage de Kalyäh, illuminé par quelques rayons des soleils qui traversaient le feuillage épais de la jungle, se retourna vers lui. « Vous pouvez tous vous transformer en de puissants animaux et vous avez pris le risque de vous exclure du royaume. Je n’ai pas connaissance d’autres peuples pouvant faire ça. » Avait-il dit sur le ton d’un compliment. Elle appréciait entendre cela, il est vrai que ses ancêtres avaient dus faire des choix assez difficiles pour en arriver là, et plusieurs vies avaient été mises en danger, certains y étaient même restés des deux côtés.

« L’histoire de notre peuple est un peu plus complexe, mais en effet, il a fallu beaucoup de courage à mes ancêtres pour faire de ce peuple ce qu’il est. Je leur en serai toujours reconnaissante. »

Un instant de silence s’installa entre les deux êtres qui marchaient vers le campement temporaire réinstallé depuis deux semaines. Parfois elle passait plus de temps dans la jungle, d’autres fois elle se réfugiait dans sa demeure sur l’île d’Endar. Ces temps-ci, elle avait préféré restée dans la jungle puisqu’elle savait que l’assassin risquait de remettre les pieds chez les siens… et pour une raison obscure, elle voulait être présente lors de son retour.

« Je vous mentirais si je ne vous avouais pas la raison la plus importante qui me pousse à revenir dans cette jungle. »

Ces paroles intriguèrent la thériantrophe qui ne s’attendait pas à une raison de plus. Il l’avait déjà prévenu de son retour lorsqu’elle était à Berill, qu’est-ce qui avait changé depuis ce moment? Elle jeta un regard devant elle, fixant le chemin qui se traçait à travers les branches. La voix d’Artemis retentit de nouveau, rappelant le regard sauvage de la chef du clan du sud.

« Vous m’attirez Kalyäh et me faites ressentir des choses inconnues que je n’ai jamais éprouvées. C’est cette autre raison qui me pousse à revenir et à séjourner quelques temps dans votre tribu, à moins que vous ne soyez contre. »

Ce qu’il venait de déclarer sonnait étrangement aux oreilles de Kalyäh. Elle n’était pas certaine de saisir le véritable sens de ses paroles puisque, naturellement, elle ne se laissait jamais approchée pour qu’un homme se sente à l’aise de lui dire ce genre de choses. La thériantrophe s’arrêta soudainement et fronça légèrement les sourcils en observant l’humain. Son regard croisa le sien, il était d’une profondeur impressionnante. Il semblait sincère… encore une fois. Elle hésita un instant avant de répondre, puis se lança :

« Je… non, je n’ai rien contre votre présence dans ma tribu, sachez seulement que nous n’avons pas l’habitude d’accueillir les inconnus. » Ses derniers mots étaient plus faibles, comme si elle réfléchissait en même temps qu’elle les prononçait. « Mais…pour vous, je peux sans doute faire une exception. »

Elle n’en dit pas plus, parce qu’elle ne savait pas quoi répondre, comment interpréter ses paroles, mais aussi, parce qu’elle ignorait quels sentiments elle éprouvait envers cet homme. Kalyäh l’appréciait un peu plus qu’à la première rencontre évidemment, surtout qu’il lui avait sauvé la vie. Elle s’était un peu plus attachée à lui lors de sa visite à Berill, mais c’était une femme indépendante et difficilement approchable.

« Nous aurons l’occasion de faire connaissance… vous vous souvenez, vous deviez me raconter un peu votre histoire. » Dit-elle pour combler le silence. Avant de lui fournir une réponse convenable, elle préférait réfléchir... et voir de son côté.

Kalyäh l’observa dans le silence, ses moindres gestes ou expressions faciales, bien que rares. Il venait tout juste de retirer le capuchon qui gardait le mystère sur sa personne, un geste qu’il ne faisait pas souvent. Peu à peu, elle sentait qu’il se dévoilait à elle et même si elle n’oserait dire qu’elle appréciait, cela la fit sourire. Il la remercia et se résigna à enchaîner sur son histoire, chose qu’il ne semblait pas apprécier particulièrement. Cet homme, cet humain… de nature plutôt froide, avait surement vécu d’une façon différente de Kalyäh pour agir de la sorte. Il était évident que se confier ne faisait pas partie du quotidien et son passé devait être un véritable mystère pour les gens qui l’entoure. Pourtant, Kalyäh avait insisté, jugeant nécessaire de connaître cette parcelle de lui. Quoi qu’il en soit, elle comprenait qu’il apprenait à être différent avec la femme du sud, guidé par des émotions incompréhensibles.

L’histoire qu’il lui raconta brisa le cœur de la chef des thériantrophes du sud, en quelque sorte. Elle qui avait une petite fille ne pouvait imaginer que Luna puisse être orpheline et qu’elle se retrouve seule dans une guilde d’assassins, sans avoir la chance de faire un deuil de ses parents. Qui plus est, il n’a certainement pas eu cette chance d’avoir la chose la plus important pour un enfant, c’est-à-dire l’amour d’une famille. Elle le regarda d’un air triste alors qu’il ajoutait quelques mots.

« Néanmoins, les proverbes ne sont pas toujours vrais. J’ai mis le pied dans la tombe et j’en suis ressorti en y envoyant nos ennemis. Je suis votre dévoué serviteur Kalyäh, ma vie vous appartient. Tant que je serai là, nul ne vous fera de mal si je suis encore en vie, vous avez ma parole. »

Après avoir prononcé ces paroles, il se mit à genoux d’une façon particulière, chose qu’elle savait typique aux humains. Elle fut toutefois très surprise de le voir poser se geste, qui, il devait s’en douter, n’avait pas particulièrement de sens chez les thériantrophes. Pourtant, pour lui il semblait prendre tout son sens.

« Je n’en demandais pas autant. » Dit-elle finalement. « Levez-vous, je vous en pries. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de cérémonie, même si je suis certaine que le geste a une certaine valeur à vos yeux. Vous n’avez toutefois pas besoin de faire cela pour me prouver… votre dévouement. Le simple fait de vous revoir en ces terres est un signe, et il n’est sans doute pas le dernier. »

Elle marqua une pause laissant paraître un léger sourire. Comment devait-elle se comporter face à tant d’intérêt? Comment devait-elle le remercier pour être si loyal? Pour les siens, c’était naturel, mais venant d’un humain, c’était la première fois qu’elle voyait cela. Elle avait gardé un souvenir assez amer de ceux qui vivaient dans les territoires du Kandor et ce, depuis tant d’années. Kalyäh plaça sa main sur son bras droit pour l’inciter à se lever.

« Continuons notre route. » Ajouta-t-elle. « À mon tour de vous faire découvrir mon histoire, maintenant que vous avez accepté de vous confier. »

D’un pas léger, elle reprit la route vers le campement en se demandant jusqu’où il irait, quelle serait la prochaine étape? Il était clair désormais que cet homme s’était éprit d’elle, sinon comment pourrait-on expliquer son comportement complètement transformé? Kalyäh le savait, mais elle y faisait face assez maladroitement. D’ailleurs, elle aurait pu le renvoyer chez lui sans trop de mal, c’est ce qu’elle faisait habituellement, mais pas cette fois. Ce n’était pas seulement du au fait qu’il lui avait sauvé la vie, il y avait bien plus que cela, mais ça… elle ne le savait pas encore.

Ils arrivèrent enfin au campement, accueillis par des yeux curieux, des visages plus froids et méfiants, tandis que d’autres semblaient apprécier la présence de l’humain. Après tout, il méritait un honneur pour avoir sauvé leur chef, mais la mort pour avoir tué un des leurs. C’est la vie qui avait suivit son cours, elle gardait toujours une balance entre le bien et le mal, selon eux.

Le reste du chemin se fit dans le silence, ce qui était suffisant pour qu’elle puisse réfléchir. Kalyäh ne désirait pas le voir partir, cette pensée était bien réelle. Pourquoi? Elle l’ignorait encore, il n’était pas dans ses habitudes d’accueillir un humain au sein de leur campement, surtout n’étant pas prisonnier. Les siens les regardèrent d’un œil étrange, mais Kalyäh leur lança un regard qu’ils ne pouvaient ignorer. Elle réussissait à apaiser leurs craintes seulement par ce qui se dégageait d’elle, il y avait une teinte d’autorité accompagnée d’une grande confiance. Les paroles d’Artemis brisèrent le silence, ainsi elle se retourna vers lui.

« Si cela dérange, je peux très bien me débrouiller seul à l’écart de votre campement Kalyäh. »

La thériantrophe le jaugea du regard, sachant que ses intentions n’étaient aucunement mauvaises. Il avait surement dit cela par politesse, mais aussi pour alléger les pensées des autres sur sa personne. Avant qu’elle ne puisse répondre, il enchaîna :

« Vous m’autorisez à conserver mes armes? Je ne puis me résoudre à les abandonner, pas même pour dormir. »

Cette dernière déclaration étonna quelque peu Kalyäh. Si elle l’avait emmené en ces lieux, c’est qu’elle était certaine qu’il serait en sécurité. Personne de son clan n’oserait défier la parole de leur chef, de cela elle en avait la certitude. Pourtant, elle comprenait parfaitement son désir de vouloir se sentir en sécurité. Il n’était pas dans son monde, tout ici était différent. Les yeux sombres de la chef des sudistes s’enfoncèrent dans les prunelles de l’assassin afin d’y déceler la moindre parcelle de trahison. Il n’était pas aisé pour une chef de placer sa confiance en un homme qui avait tué les siens, mais elle l’avait vu agir en contrées humaines et savait très bien qu’il aurait déjà pu faire bien plus de dégâts. En recommençant à marcher, elle se dit qu’elle mettrait tout de même quelques uns des siens pour surveiller le campement par précaution, mais qu’elle lui permettrait de garder ses armes, s’il pouvait se sentir mieux.

« Pour vos armes… Si cela est si important pour vous, gardez-les. Mais sachez que vous êtes en sécurité sur nos terres. »

Elle s’arrêta devant une tente qui était vide. Deux de ses hommes étaient partis en mission, Artemis pourrait donc utiliser cette dernière pour cette nuit.

« Vous me parlez de votre histoire Kalyäh, je suis impatient de l’entendre. » Dit-il, avec un petit sourire.

La chef des thériantrophes se retourna pour lui faire face, exprimant quelque chose de paisible sur son visage. Elle le contempla quelques instants, puis répondit :

« Vous pourrez passer la nuit ici, la tente est inoccupée pour un certain moment. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites moi signe. »

Kalyäh tassa le volet qui gardait la tente fermée pour lui montrer l’intérieur. Rien de trop confortable, il s’agissait d’un campement de nomade et donc, assez rudimentaire. Les thériantrophes en avaient l’habitude, mais elle n’avait pas de doutes qu’il se ferait à cette nouvelle situation.

« Je vous laisse vous installer comme bon vous semble… Pour mon histoire, vous saurez certainement user d’un peu de patience pour le moment. »

Ses dernières paroles avaient été sur un ton d’amusement, accompagnées d’un sourire. Elle voulait voir s’il s’intéressait vraiment aux siens, ou si c’était plutôt pour avoir un pied à l’intérieur du campement. Sans plus tarder, elle le laissa s’installer et rejoint sa propre tente.

Après avoir rejoint sa tente, elle en profita pour se reposer un peu. Les dernières semaines, voir mois, avaient été éprouvants et elle n’avait pas pu profiter du temps avec sa petite fille, ni avec les membres de son clan. La chef des thériantrophes ferma l’œil au moins une heure avant qu’un des siens vienne la réveiller, la questionnant sur ses plans vis-à-vis le nouvel individu. Elle lui demanda de surveiller le campement en tout temps avec deux ou trois autres des leurs, non seulement pour veiller à ce qu’Artemis ne les trahisse pas, mais aussi s’assurer qu’il n’avait pas été suivi en quittant Berill. Kalyäh était inquiète juste à penser à cette possibilité, que des gens la traqueraient encore… Dévoiler l’emplacement du clan des thériantrophes aux humains n’était pas une chose qu’elle appréciait, au contraire. La chef du clan du sud lui confia également qu’Artemis resterait avec eux et qu’il pourrait, éventuellement, être un allié de taille à leur clan. Elle savait qu’il était dévoué, du moins c’est ce qu’il laissait croire, et il semblait avoir des convictions auxquelles il tenait fermement, hormis celle de tuer sans remords.

La thériantrophe profita par la suite du départ de Keleg, l’homme qui avait prit en charge de lui poser ces questions, pour se rafraîchir un peu. La chaleur intense pesant lourdement sur le campement ne faisait que les fatiguer, même s’ils étaient habitués d’y vivre. On vint l’avertir par la suite qu’Artemis était partit chasser avec l’un d’entre eux, chose qui la fit beaucoup sourire. Il commençait à ses mêler aux siens malgré lui. Kalyäh ne se soucia pas vraiment du déroulement de la partie de chasse, sachant qu’ils sauraient se débrouiller.

Quelques temps plus tard on l’informa du retour de l’humain dans sa tente, et avec un ton moqueur, qu’il avait eu un bien maigre butin, soit un oiseau exotique pas très bon au goût. La thériantrophe ne pu s’empêcher d’éclater de rire à cette nouvelle, puis se leva pour aller à sa rencontre. Sous les regards des siens, elle entra dans la tente de l’humain qui était entendu sur le petit lit.

« Vous êtes un chasseur… impressionnant » Dit-elle sur le ton de la moquerie. « Vous devriez vous joindre à moi, près du feu… On y sert du sanglier. » Ajouta-t-elle pour se faire pardonner. « Peut-être, dans ce cas, prendrai-je le temps de vous raconter mon histoire. »

Un sourire se glissa sur ses lèvres, puis elle sortit de la tente. Il commençait à faire plus sombre et la température avait un peu diminuée. Au moins, il ne cramerait pas aux soleils. Elle n’avait pas attendu sa réponse, espérant qu’il daigne tout de même la suivre. S’il voulait découvrir les cultures différentes des thériantrophes, il devait se prêter au jeu.

Kalyäh s’installa un peu à l’écart du feu en fixant les flammes qui dansaient dans la braise. On festoyait autour de ce dernier, chantait, riait. C’est dans ces moments là qu’elle appréciait d’être à la tête du clan, quand tout semblait parfait, quand tout se voulait d’être simple.

Même à cette distance du feu, elle pouvait sentir sa chaleur se plaquer contre son corps, mais cette dernière était incomparable à ce que les soleils leur faisaient subir toute la journée. Alors que son regard se perdait dans ce spectacle et que ses pensées s’animaient, elle sentit une présence et ses côtés et n’eu même pas besoin de se retourner pour savoir qu’il s’agissait d’Artemis. Elle se contenta de sourire à la suite de ses paroles en le suivant du regard. Il commençait à se mêler au clan, même si visiblement il ne voulait pas trop s’en approcher. À son retour près d’elle, il déposa le plat devant Kalyäh et commença à manger. Il paraissait affamer et la thériantrophe se surprit à se demander depuis combien de temps il n’avait pas mangé. Elle rapprocha l’assiette et prit quelques bouchées, écoutant l’humain qui ramena le sujet de son histoire. Il avait été très patient et Kalyäh comprenait qu’il s’intéressait vraiment sur ce qu’il avait à dire.

« J’ignore si vous connaissez l’histoire des Thériantrophes Artemis, mais il serait mieux pour moi de commencer mon histoire par là, surtout si vous vous questionnez quand à nos origines. Vous savez, les rituels de la transformation en animal étaient très mal vus à l’époque. Quelque chose que l’on n’arrivait pas à comprendre se propageait, et j’ignore si c’est la peur ou la jalousie qui poussa le Saint-Père Urtiriel Tag'albanon à vouloir lever une armée contre ceux qui possédaient ce don… mais des centaines d’hommes prirent les armes pour se défendre contre les attaques incessantes de ce dernier, jusqu’à ce que Ekalas Fênion décide de mener les siens vers le sud afin d’atteindre des territoires inoccupés et être enfin libres. Avec une conscience qui n’était pas en paix, le Saint-Père tenta tout de même d’affronter les sudistes, mais la victoire de notre peuple fut écrasante, tellement qu’ils ne revinrent jamais. »

Elle mangea encore quelques bouchées avant de poursuivre.

« C’est l’un de mes ancêtres d’ailleurs qui a reprit la tête de notre groupe puisque le brave Fênion est mort dans cette dernière bataille… il était son dévoué bras droit. Ainsi se poursuivit la tradition et chaque descendant laissait à son fils la gouverne de ce clan, jusqu’à l’époque de mon père. C’était un homme très intelligent et curieux, j’aurais tout fait pour le rendre fier de moi. Cependant, il ne vécu pas assez longtemps, poussé trop loin par sa curiosité et me quitta à l’âge de quinze ans. Je n’étais pas préparée à devenir chef, ainsi c’est ma mère qui s’occupa de mener nos troupes jusqu’à ce que je sois apte… J’ai passé cinq ans à m’entraîner dans le but de reprendre la tête du clan du sud. C’est à peu près tout ce que je me rappel de ces années. Et puis… j’ai trouvé ma petite Luna. On l’a mise sur ma route et depuis je ne peux m’en séparer trop longtemps. » Kalyäh s’arrêta un instant en se demandant s’il savait qu’elle avait une fille. À bien y penser, elle n’avait pas souvenir de lui en avoir parlé. « Vous saviez que j’avais une fille? » Questionna-t-elle pour s’en assurer.

C’était à peu près tout qu’elle pouvait dire de son histoire et de celle des siens. C’est ce qui résumait bien toutes ces années, le reste n’avait guère importante. Kalyäh termina le repas dans le silence, espérant que son récit lui ait plu.

« Vous comprenez mieux notre méfiance envers les humains… ils sont si avides de pouvoir qu’ils ne peuvent supporter que d’autres puissent développer des talents particuliers, enfin c’est l’impression qui m’est donnée. »

Après son récit, le silence tomba et elle en profita pour manger quelques bouts de sanglier. Cela ne prit pas de temps avant qu’elle dépose son assiette, rassasiée. Son attention fut alors portée sur le feu qui crépitait doucement. Les soleils étaient alors tombés et trois lunes trônaient fièrement dans le ciel à présent. Kalyäh n’avait même pas remarqué ce changement de lumière tellement elle était plongée dans son histoire.

Artemis lui répondit franchement, appuyant ses propos quant aux hommes qui vivaient dans le Kandor. Il y ajouta toutefois une variance qu’elle aurait pu prédire, évidemment il ne pouvait s’inclure dans ceux qui étaient dotés de cette soif de puissance. Cette pensée la fit sourire, mais même s’il se démarquait d’eux quant à son ambition sur le pouvoir, elle ne pouvait pas écarter l’idée qu’il était un assassin et que nombre d’hommes avaient perdu la vie de sa lame, voire même de ses mains. C’était quelque chose qu’elle n’arrivait pas à accepter si facilement, cela lui prendrait bien du temps avant de s’y habituée.

Abordant le sujet de sa fille, l’humain extirpa la thériantrophe de ses pensées. Ses paroles avaient été dites sur un ton de plaisanterie et elle ne pu s’empêcher de sourire encore une fois. Si Luna verrait Artemis, elle serait surement très curieuse, mais elle l’accepterait tout comme sa mère. La petite était encore trop jeune pour discerner efficacement le bien du mal, et Kalyäh ne voyait pas l’intérêt de le présenter en tant qu’assassin.

« Oui, c’est ma fille adoptive, mais j’ai toutefois enrayé ce vocabulaire de notre vie courante. Luna ne sait pas que je ne suis pas sa véritable mère, ou si elle le sait, elle ne m’a jamais posé la question. Je la considère autant que si je l’avais portée. »

Et elle était ce qu’elle avait le plus précieux sur cette terre. Il fallait dire que même si le lien de sang n’y était pas, bien d’autres liens faisaient d’elles une famille unis, que ce soit par l’animal totem ou même cette étrange ressemblance entre les deux êtres. Kalyäh avait l’impression que cet enfant fut conçu pour être remis entre ses mains, il n’y avait aucun doute.

La chef des sudistes remarqua alors sa main qui s’approcha d’elle, mais pour une quelconque raison, celle-ci stoppa sa course et des compliments s’en suivirent. Kalyäh lui sourit, appréciant tout de même ses paroles, mais une certaine gêne pouvait paraître sur son visage. Elle n’avait pas l’habitude qu’on la regarde ainsi, normalement, on venait la voir pour avoir un conseil, voire même des directives.

« Merci. Je pourrais vous renvoyer le compliment. »

Une drôle d’atmosphère flottait entre les deux êtres et pour sa part, Kalyäh était complètement coupée de monde qui les entourait. Bien que certains thériantrophes festoyaient, chantaient, pour une fois elle n’y porta pas trop attention.

Une impression parcourait son corps, quelque chose d’inexplicable se produisait chez elle. La femme n’aurait pu décrire ce dont il s’agissait, mais en cet instant elle se sentait bien. Kalyäh contempla le ciel, ce spectacle qu’offraient les trois lunes, elle ne s’en lasserait jamais. Les paroles sages d’Artemis vinrent se bercer à son oreille, et la chef du clan du sud posa se regard sur ce dernier. À travers ses paroles, elle se demandait si lui avait bien un endroit où il se sentait en sécurité. Lui, qui était toujours sur un pied défensif peu importe où il se trouvait… y avait-il un lieu où ce n’était pas le cas?

Il la remercia pour le sanglier, laissant croire que la soirée tirait à sa fin. Même si elle ne voulait pas qu’il parte, c’est l’impression qu’il donnait et ses paroles suivantes le confirmèrent. Elle n’eu pas la force de lui répondre, et il se retourna, se dirigeant vers sa tente. Pendant un instant, Kalyäh demeura immobile, fixant le chemin qu’il venait d’emprunter. Même si les siens festoyaient à quelques lieux d’elle, la thériantrophe n’entendait rien de tout cela. Plongée dans ses pensées, elle resta ainsi pendant une bonne dizaine de minutes.

Après un certain temps, elle se releva instinctivement, jetant un dernier regard aux flammes qui dansaient près d’elle. Kalyäh avait finalement comprit une chose, c’est qu’elle avait des sentiments pour l’humain, des sentiments qu’elle n’avait éprouvé pour personne d’autre jusqu’à maintenant. Elle ignorait comment cela était possible, qu’elle puisse avoir ce genre de sentiment envers un homme qui n’appartenait pas au sien, et qui plus est, qui avait tué un des leurs. Cette dernière vérité la déchirait, Kalyäh ne pourrait jamais l’oublier et cela demeurerait à jamais un obstacle.

La thériantrophe décida donc de poser un geste qui serait sans doute irréversible, elle le savait trop bien, mais celui-ci serait au moins à l’abri des regards indiscrets. D’un pas léger et discret, elle quitta la fête pour retrouver la tente dans laquelle Artemis était logé. Quand elle entra dans cette dernière, elle pu sentir le regard de l’humain se poser sur elle. Kalyäh ignorait comment il le prendrait et si c’était véritablement ce qu’il voulait, mais elle ne ferait pas traîner les choses plus longtemps, il fallait qu’elle sache… ce que ça faisait. Pour une fois, elle posait un geste pour elle et non pour son clan. Un geste peut-être égoïste, elle n’en savait rien.

Dans un silence, elle s’approcha vers l’humain, toujours étendu sur le lit improvisé, puis elle se pencha au-dessus de se dernier. Kalyäh déposa ses lèvres sur les siennes, lui donnant le signe qu’il attendait tant. Elle se releva par la suite, observant sa réaction et dit :

« Vous n’aurez plus à patienter. »

Le geste que la femme venait de poser pourrait être critiqué par les siens, par sa fille ou toute autre personne près d’elle. Kalyäh avait réfléchit avant de faire quoi que ce soit, mais en même temps elle avait voulu suivre son instinct, faire quelque chose d’égoïste et uniquement pour elle. Même si elle apprécia le moment, la raison revint à elle rapidement et elle reprit le contrôle sur sa personne. Les paroles d’Artemis aidèrent grandement, car elle ne s’était jamais questionnée à ce propos… Le fait de ne savoir quoi lui répondre dans l’instant la rendait perplexe.

Alors que ses pensées semblèrent s’emmêler, il se leva et s’approcha tout près, la prenant par les épaules. Son regard se faisait intense et l’énergie était palpable entre les deux êtres. Kalyäh l’appréciait beaucoup, elle n’avait pas de doutes à ce sujet, mais à quel point? La thériantrophe demeura silencieuse pendant les quelques instants qui suivirent, où il lâcha ses épaules pour caresser sa chevelure, puis son bras gauche en finissant par sa main. Elle appréciait cette proximité, chose à laquelle elle ne s’adonnait pas souvent, voire jamais. Personne n’avait osé s’approcher suffisamment d’elle pour qu’elle puisse ressentir de telles sensations. Soutenant son regard, elle répondit :

« Je n’ai pas l’habitude… d’accepter quelqu’un dans ma vie. Ce n’est jamais arrivé, aussi loin que je me souvienne… que je puisse avoir quelque chose de sérieux. D’ailleurs, je me demande même si j’aurais le temps. »

Son visage s’assombrit en réfléchissant à tout cela. Les siens accepteraient-ils qu’elle puisse avoir une quelconque avec un humain? Et avec un homme qui avait tué l’un des leurs? Le doute s’installa dans son esprit à ce sujet. Déjà qu’ils avaient du mal à l’accepter dans le campement, s’il fallait qu’ils l’acceptent comme l’un des leurs… Quelque chose qui se rapprochait à de la peur s’empara d’elle sans prévenir.

« Pour ce qui est de mon clan, j’ai une mauvaise impression. Nous sommes très loyaux et très liés entre nous. Le fait que vous aillez tuer l’un des autres n’a pas encore été oublié, même s’ils ont comprit que votre geste n’était pas volontaire contre nous. J’espère que vous comprenez mes inquiétudes, Artemis. »

Il n’y avait que le temps qui pourrait apaiser ce tourbillon de questionnements. Si elle agissait trop rapidement pour la suite, elle le regretterait peut-être, ou alors elle se mettrait dans une position difficile à gérer. Elle ne voulait pas imposer un stress supplémentaire aux membres du clan du sud, d’autant plus celui qui planait à cause de leurs navires marchands qui ont été coulés.

« Je voulais seulement… vous démontrer un tant soit peu mon intérêt. Seulement, je ne me sens pas apte à affronter les miens à ce sujet, surtout en ces temps pénibles. Ils ne verraient pas cette relation de bon augure, et c’est mon devoir de chef de leur montrer l’exemple. »

En prononçant ces paroles, elle était triste parce qu’elle ne pouvait pas agir selon son bon vouloir, mais en premier lieu, selon les désirs de son peuple. Voilà ce qu’on lui avait enseigné…

La thériantrophe était prise au piège, elle n’aurait jamais imaginé que sa position l’empêcherait de s’investir dans une quelconque relation, et n’imaginait pas tout le poids que cela représentait. Il y avait également cette douleur qui persistait dans son cœur, accompagné de ce terrible questionnement dans sa tête qui prenait toute la place. Kalyäh était plus déstabilisée que jamais et ça devenait très dangereux. Elle se devait, pour elle et pour son peuple, de prendre les choses en main. Quand elle porta de nouveau son attention sur Artemis, celui-ci n’émit que quelques paroles en guise de maigre réponse. Ses gestes quant à eux signifiaient beaucoup plus que ses mots. En effet, il enleva ses armes sous ses yeux et elle ne pu capter qu’un bref regard avant qu’il ne se retourne afin de s’allonger sur le lit d’appoint. La chef du Sud l’observa quelques instants dans l’espoir de comprendre ce qui venait de se passer, puis fit demi tour afin de quitter la tente.

Le sentiment qui l’habitait lorsqu’elle sortit à l’extérieur était indescriptible. Elle avait l’impression qu’elle renonçait à quelque chose, plutôt quelqu’un qui lui était cher… même si elle ne le connaissait pas autant qu’elle le voudrait. Ce genre de chose ne pouvait s’expliquer, elle le savait. D’un pas lent, Kalyäh regagna sa propre tente afin d’être seule, de ne pas être dérangée. Son visage était triste, mais teinté d’incompréhension et d’une forte amertume.

La thériantrophe se laissa tomber sur son lit, complètement épuisée. Malgré ce qui venait de se produire, il ne lui fallu que quelques minutes avant de sombrer. Elle ne se réveilla qu’à l’aube, lorsque des voix dans le campement trahirent le silence. Kalyäh sentait une agitation non coutumière, elle savait donc que quelque chose se produisait à l’instant.
La jeune femme sortit alors de sa tente, attirée par ce qui pouvait bien captiver tous les siens, en espérant que rien de grave ne s’était produit pendant la nuit. Elle s’approcha pour constater qu’Artemis se tenait devant la tente de la famille de celui qui avait rejoint les ancêtres. La chef fronça les sourcils, ne comprenant pas trop ce qu’il voulait faire…

Kalyäh vit cependant un ours arriver aux côtés de l’humain, prêt à lui offrir sa sentence. Elle le reconnu facilement, il s’agissait du père de la victime et visiblement, il était très en colère. La chef s’approcha afin d’être dans son champ de vision et une fois que ce dernier vit Kalyäh, il s’arrêta. Le thériantrophe demeurait toutefois sous sa forme animale, fixant inlassablement l’humain… Un seul coup de patte et il pourrait l’écraser tel un insecte. La chef des sudistes avait un effet sur lui, et il savait qu’elle lui en voudrait s’il commettait l’irréparable. Ici, dans le sud, la vengeance ne devait pas être faite ainsi, il y avait bien d’autres moyens pour faire payer les fautifs. La violence ne venait qu’en dernier recours, même si parfois elle pouvait s’avérer très utile.

« Qu’attendez-vous de cette famille, Artemis? » Dit-elle tout simplement, en attirant les regards sur elle.

Si cette famille le tuait, là, maintenant, Artemis n’aurait pas payé sa dette. C’est en quelque sorte une fuite que d’accepter de mourir, plutôt que de supporter son geste, supporter le regard des autres sur sa personne. Il devait s’y confronter, pas fuir… et c’est en quelque sorte ce qu’il faisait à l’instant. Il serait jugé.

Kalyäh avait mal dormi la nuit dernière après ce qui s’était produit dans la tente de son invité. Il était vrai qu’elle avait laissé ses envies l’emporter, mais elle regrettait que ce soit terminé ainsi, surtout pour lui. Artemis semblait être venu en ces lieux que pour elle, et la chef des thériantrophes n’avait pas accepté ses avances quelles qu’elles soient. Et maintenant, il se retrouvait dans une situation qui n’avait pas lieux d’être… ou alors, pas de cette façon.

La chef du Clan du Sud se faisait beaucoup de soucis à son propos, malgré qu’elle sache qu’il saurait sans doute faire face à cette situation comme à tous les autres… lui qui n’avait pas d’âme, ni de sentiments.

Les paroles qui franchirent les lèvres de l’assassin furent d’abord blessantes. L’incompréhension se lisait sur le visage de Kalyäh. Elle savait toutefois que ce qu’il disait était la stricte vérité, même si elle s’avérait fracassante. Visiblement, elle n’avait pas, et de loin, les mêmes valeurs que cet humain et elle commençait à croire que celui-ci se rapprochait des humains typiques dont son père lui parlait. Quelques larmes vinrent perler au coin de ses yeux, sans toutefois s’échapper. Comment pouvait-elle éprouver un quelconque sentiment envers quelqu’un qui réfléchissait comme ça, envers un homme qui aspirait à n’être qu’un assassin? Ses points se resserrèrent alors qu’elle vivait une foule d’émotions.

Artemis enchaîna, exprimant ce qu’il pensait réellement. Ses dernières paroles provoquèrent un silence absolu dans le campement. Tous les yeux se dirigèrent par la suite vers Kalyäh, comme s’ils attendaient une quelconque réponse. La pression qu’elle ressentait à cet instant était insuportable et elle aurait voulu s’enfuir dans sa jungle afin de réfléchir. Cette déclaration au grand jour la rendait nerveuse et elle n’était certainement pas prête à cela. Le regard sauvage de Kalyäh croisa celui d’Artemis quelques instants, avant qu’elle ne le pose sur les siens.

« Personne ne vous arrachera la tête Artemis, je ne le permettrais pas. »

Son ton était très autoritaire, mais ses paroles semblaient très évasives. Après un moment de silence elle reprit :

« Je vous pris de m’excuser, j’ai besoin de me retirer. »

Sans ajouter un seul mot, elle jeta un dernier regard à l’humain, puis disparu dans la jungle. Kalyäh se transforma sous sa forme animale et commença à courir, en éviter les arbres les uns après les autres. C’était en quelque sorte une échappatoire, elle avait refusé de faire face aux paroles d’Artemis parce qu’elle n’était pas prête tout simplement… pas prête à avouer à tout son peuple ce qu’elle ressentait. Il fallait qu’elle réfléchisse.